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auparavant, le plus matinal au téméraire assaut et séparé tout d’un coup de ceux-là, à jamais inconnus, qui probablement eussent aidé et succédé. Nulle aigreur ne suivit en lui ces mécomptes du talent et de la gloire. Les jeunes essais, qui désormais rejoignent ses espérances brisées, le retrouvent souriant, et il bat des mains avec transport aux premiers triomphes. Il avait connu et aimé Millevoye faiblissant ; il enhardissait De Latouche, éditeur d’André Chénier ; il n’eut qu’un cri d’admiration et de tendresse pour le chant inouï de Lamartine. Il connut Victor Hugo de bonne heure, à la suite d’un article qui n’était pas sans réserve, si je ne me trompe, sur Han d’Islande ; il découvrit vite, au langage vibrant du jeune lyrique, les dons les plus royaux du rhythme et de la couleur. Un voyage en Suisse qu’ils firent tous deux ensemble et en famille, vers 1825, acheva et fleurit le lien. Dans le même temps, par ses publications avec son ami M. Taylor, par les descriptions de provinces auxquelles il prit une part effective au moins au début, il poussait à l’intelligence du gothique, au respect des monuments de la vieille France. Ses préfaces spirituelles, qu’en toute circonstance il ne haïssait pas de redoubler, harcelaient les classiques, et, en vrai père de Trilby, il sut piquer plus d’un de ses vieux amis sans amertume. Les savantes expériences de sa prose cadencée, les artifices de déroulement de sa plume en de certaines pages merveilleuses eussent été plus appréciés encore et eussent mieux servi la cause de l’art, si on ne les avait pu confondre par endroits avec les alanguissements inévitables dus à la fatigue d’écrire beaucoup, à la nécessité d’écrire toujours. Nombre de ses images, qui expriment des nuances, des éclairs, des mouvements presque inexprimables (comme celle du goëland qui tombe, citée plus haut), étaient faites pour illustrer et couronner l’audace ; et, dans une Poétique de l’école moderne, si on avait pris soin de la dresser, nul peut-être n’aurait apporté un plus riche contingent d’exemples. Le petit volume de Poésies qu’il publia en 1827 vint montrer tout ce qu’il au-