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cherche, une lanterne à la main, il se vit arrêté comme malfaiteur.

Il demeura jusqu’en 1820 dans la rédaction des Débats, et ne passa qu’alors à celle de la Quotidienne, sans préjudice des journaux de rencontre. Il publia Jean Sbogar en 1818, Thérèse Aubert en 1819, Adèle en 1820, Smarra en 1821, Trilby en 1822 : je ne touche qu’aux productions bien visibles. Chacun de ces rapides écrits était comme un écho français, et bien à nous, qui répondait aux enthousiasmes qui commençaient à nous venir de Walter Scott et de Byron. La valeur définitive de chaque ouvrage se peut plus ou moins discuter ; mais leur ensemble, leur multiplicité dénonçait un talent bien fertile, une incontestable richesse, et il reste à citer de tous de ravissantes pages d’écrivain. A dater de 1820, la position littéraire de Nodier prit manifestement de la consistance.

Pour mettre un peu d’ordre à notre sujet et éviter (ce qui en est l’écueil) la dispersion des points de vue, nous ne tenterons ni l’analyse des principaux ouvrages en particulier, ni encore moins le dénombrement, impossible peut-être à l’auteur lui-même, de tous les écrits qui lui sont échappés. Deux questions, qui dominent l’étendue de son talent, nous semblent à poser : 1° la nature et surtout le degré d’influence des grands modèles étrangers sur Nodier, qui, au premier aspect, les réfléchit ; 2° sa propre influence sur l’école moderne qu’il devança, qu’il présageait dès 1802, qu’il vit surgir et qu’il applaudit le premier en 1820.

L’influence des modèles étrangers sur Nodier (on peut déjà le conclure de notre étude suivie) est encore plus apparente que réelle. On a vu à ses débuts sa vocation marquée, on a saisi ses inclinations à l’origine. Il procède de Werther sans doute ; mais on ne se compromet pas en affirmant que si Werther n’eût pas existé, il l’aurait inventé. Il ne connut longtemps de la littérature allemande que ce qui nous en arrivait par madame de Staël après Bonneville ; mais l’esprit lui en arrivait surtout : la ballade de Lénore, le Roi des Aulnes, la