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le Dictionnaire des Onomatopées, singulière inspiration chez un proscrit romanesque, et bien notable indice d’un instinct philologique qui grandira.

En 1806, son mandat d’arrêt fut levé et converti en un permis de séjour à Dôle, sous la surveillance du sous-préfet, M. de Roujoux, homme aimable, instruit, qui préparait dès lors son estimable essai des Révolutions des Arts et des Sciences. Nodier y connut beaucoup Benjamin Constant, qui avait à Dôle une partie de sa famille : leurs esprits souples et brillants, leurs sensibilités promptes et à demi brisées devaient du premier coup s’enlacer et se convenir. Il ouvrit un cours de littérature qui fut très-suivi, et s’il avait laissé le temps aux préventions politiques de s’effacer, l’Université aurait probablement fini par l’accueillir. Le préfet Jean de Bry lui portait intérêt ; le ministre Fouché associait son nom à des souvenirs oratoriens. Ces années ne furent donc pas absolument malheureuses, les sentiments consolants de la jeunesse les embellissaient, et de fréquentes tournées au village de Quintigny, qui recélait pour son cœur une espérance charmante, lui décoraient l’avenir. Il rêvait de faire une Flore du Jura ; il rêvait mieux, une vie heureuse, domestique, studieuse, sous l’humble toit verdoyant. Il a exprimé lui-même ces poétiques douceurs d’alors à quelques années de là, lorsque dans son exil d’Illyrie il se reportait avec une plainte mélodieuse vers les saisons déjà regrettables :

Qui me rendra l’aspect des plantes familières,
Mes antiques forêts aux coupoles altières,
Des bouquets du printemps mon parterre épaissi,
Des bLe houx aux lances meurtrières,
Des bL’ancolie au front obscurci
Des bQui se penche sur les bruyères,
Le jonc qui des étangs protège les lisières,
Et la pâle anémone et l’éclatant souci ?

    cuté qu’il ne se l’imaginait : « Il croyait fuir les gendarmes et poursuivait les papillons. »