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l’adorable Réminiscence. C’est bien important, à propos de Nodier, de poser dès l’abord en quoi la réminiscence diffère du souvenir. Un amant disait à sa maîtresse qui brûlait chaque fois les lettres reçues, et qui pourtant s’en ressouvenait mieux :

Au lieu d’un froid tiroir où dort le souvenir,
J’aime bien mieux ce cœur qui veut tout retenir,
Qui dans sa vigilance à lui seul se confie,
Recueille, en me lisant, des mots qu’il vivifie,
Les mêle à son désir, les plie en mille tours,
Incessamment les change et s’en souvient toujours.
Abus délicieux ! confusion charmante !
Passé qui s’embellit de lui-même et s’augmente !
Forêt dont le mystère invite et fait songer,
Où la Réminiscence, ainsi qu’un faon léger,
T’attire sur sa trace au milieu d’avenues
Nouvelles a tes yeux et non pas inconnues !

C’est ce faon léger des lointains mystérieux, ce daim à demi fuyant de l’Égérie secrète, que dans ses inspirations les plus heureuses Nodier vieillissant a suivi.

Au retour de Novilars, il fréquenta à Besançon les cours de l’École centrale ; dès 1797, il était adjoint au bibliothécaire de la ville, avec de petits appointements qui lui permirent quelque indépendance. Jusqu’alors il avait été plutôt timide et d’une allure toute poétique ; il commença de s’émanciper, et ces vives années de son adolescence purent paraître très-dissipées et très-oisives. Son père l’aurait voulu avocat ; il suivit le droit à Besançon, mais inexactement et sans fruit. À cette époque il en était déjà aux romans, soit à les pratiquer, soit à les écrire. L’influence de Werther fut très-grande sur lui et l’exalta singulièrement. La mode y poussait ; le plus flatteur triomphe d’un jeune-France en ce temps-là consistait à obtenir des parents de porter l’habit bleu de ciel et la culotte jaune de Werther. Dans ces premiers accès d’enthousiasme germanique, Nodier ne savait que fort peu l’allemand ; il lisait plus directement Shakspeare ; mais il avait pour ainsi dire le don