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quand ils se portent bien. Ce fut madame de Caylus qui m’apprit hier cette particularité dont elle étoit effrayée, et qu’elle a sue, comme je crois, de M. le curé de Saint-Sulpice. » Et dans une autre lettre : « Le pauvre M. Boyer est mort fort chrétiennement ; sur quoi je vous dirai, en passant, que je dois réparation à la mémoire de la Champmeslé, qui mourut avec d’assez bons sentiments, après avoir renoncé à la comédie, très-repentante de sa vie passée, mais surtout fort affligée de mourir : du moins M. Despréaux me l’a dit ainsi, l’ayant appris du curé d’Auteuil, qui l’assista à la mort ; car elle est morte à Auteuil, dans la maison d’un maître à danser, où elle étoit venue prendre l’air. » On a besoin de croire, pour excuser ce ton de sécheresse, que Racine voulait faire indirectement la leçon à son fils, et condamner ses propres erreurs dans la personne de celle qui en avait été l’objet. Mais, même en tenant compte de l’intention, on peut conclure hardiment, après avoir lu et comparé ces passages, que les sentiments du poëte ne prenaient plus la forme dramatique, et que la figure de la Champmeslé lui était depuis longtemps sortie de la mémoire. Port-Royal avait toute son âme ; il y puisait le calme, il y rapportait ses prières ; il était plein des gémissements de cette maison affligée, quand il fit entendre, pour l’heureuse maison de Saint-Cyr, la mélodie touchante des chœurs d’Esther[1]. En un mot, c’était la disposition lyrique qui prévalait évidemment

  1. Racine se trouvait précisément dans l’église du monastère des Champs, quand l’archevêque Harlay de Champvallon y vint, le 17 mai 1679, à neuf heures du matin, pour renouveler la persécution qui avait été interrompue durant dix années, mais qui, à partir de ce jour-là, ne cessa plus jusqu’à l’entière ruine. Il causa quelque temps avec le prélat qui, l’ayant aperçu, l’avait fait appeler par politesse. Plus tard, surtout quand sa tante fut abbesse, il devint à Versailles le chargé d’affaires en titre des pauvres persécutées. Toutes les demandes d’adoucissement près de l’archevêque, les suppliques pour obtenir tel ou tel confesseur, roulaient sur lui. Il usait son temps et son crédit à ces démarches, avec un zèle où il entrait quelque pensée d’expiation.