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VICTOR HUGO.

donc était l’article un peu sévère qui avait paru dans le Globe sur le Cinq-Mars de De Vigny : je confessai qu’il était de moi. Hugo, au milieu de ses remercîments et de ses éloges pour la façon dont j’avais apprécié son recueil, en prit occasion de m’exposer ses vues et son procédé d’art poétique, quelques-uns de ses secrets de rhythme et de couleur. Je faisais dès ce temps-là des vers, mais pour moi seul et sans m’en vanter : je saisis vite les choses neuves que j’entendais pour la première fois et qui, à l’instant, m’ouvrirent un jour sur le style et sur la facture du vers ; comme je m’occupais déjà de nos vieux poëtes du xvie siècle, j’étais tout préparé à faire des applications et à trouver moi-même des raisons à l’appui. Une seconde visite acheva de me convertir et de m’initier à quelques-unes des réformes de l’école nouvelle. Rentré chez moi, je fis un choix de mes pièces de vers et les envoyai à Victor Hugo, ce que je n’avais osé jusqu’alors avec personne ; car je sentais bien que mes maîtres du Globe, vraiment maîtres en fait d’histoire ou de philosophie, ne l’étaient point du tout en matière d’élégie. Hugo, en me répondant à l’instant, et en louant mes vers, sut très-bien indiquer, par les points mêmes sur lesquels portait son éloge, quelles étaient tout à côté mes faiblesses. J’étais conquis dès ce jour à la branche de l’école romantique dont il était le chef. Quelques mois après, nous allions, lui et moi, habiter rue Notre-Dame-des-Champs où, par un nouvel et heureux hasard, je me trouvai encore son proche voisin, lui au no 11 et moi au 19. Une vive intimité s’ensuivit. Mon Joseph Delorme, déjà commencé dans la solitude et le silence, s’augmenta d’élégies plus fermes et d’un accent plus précis. Une période tout enthousiaste de trois années commença pour moi (1827–1830} ; elle acheva de se consacrer dans mon culte intérieur par le recueil des Consolations qui est resté à mes yeux comme le sanctuaire ardent et pur des plus belles heures de ma jeunesse.