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VICTOR HUGO.

tance. Hugo travaillait dans la retraite, et se dessinait de plus en plus. Vers 1828, à cette époque que nous avons appelée le moment calme et sensé de la Restauration, le public avait fait de grands progrès ; l’exaspération des partis, soit lassitude, soit sagesse, avait cédé à un désir infini de voir, de comprendre et de juger. Les romans, les vers, la littérature, étaient devenus l’aliment des conversations, des loisirs ; et mille indices, éclos comme un mirage à l’horizon, et réfléchis à la surface de la société, semblaient promettre un âge de paisible développement où la voix des poëtes serait entendue. Autour de Hugo, et dans l’abandon d’une intimité charmante, il s’en était formé un très-petit nombre de nouveaux ; deux ou trois des anciens s’étaient rapprochés ; on devisait les soirs ensemble, on se laissait aller à l’illusion flatteuse qui n’était, après tout, qu’un vœu ; on comptait sur un âge meilleur qu’on se figurait facile et prochain. Dans cette confiante indifférence, le présent échappait inaperçu, la fantaisie allait ailleurs ; le vrai Moyen-Âge était étudié, senti, dans son architecture, dans ses chroniques, dans sa vivacité pittoresque ; il y avait un sculpteur[1], un peintre[2] parmi ces poëtes, et Hugo qui, de ciselure et de couleur, rivalisait avec tous les deux. Les soirées de cette belle saison des Orientales se passaient innocemment à aller voir coucher le soleil dans la plaine, à contempler du haut des tours de Notre-Dame les reflets

  1. David (d’Angers).
  2. Louis Boulanger.