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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

militante, par son peu de penchant à la rêverie sentimentale, par son amour presque sensuel de la matière, et des formes, et des couleurs, par ses violents instincts dramatiques et son besoin de la foule, par son intelligence complète du Moyen-Âge, même laid et grotesque, et les conquêtes infatigables qu’il méditait sur le présent, par tous les bords enfin et dans tous les sens, dépassait et devait bientôt briser le cadre étroit, l’étouffant huis clos, où les autres jouaient à l’aise, et dans lequel, sous forme de sylphe ou de gnome, il s’était fait tenir un moment. Aussi les marques qu’il en contracta sont légères et se discernent à peine : ses premières ballades se ressentent un peu de l’atmosphère où elles naquirent ; il y a trop sacrifié au joli : il s’y est trop détourné à la périphrase : plus tard, en dépouillant brusquement cette manière, il lui est arrivé, par une contradiction bien concevable, d’attacher une vertu excessive au mot propre, et de pousser quelquefois les représailles jusqu’à prodiguer le mot cru. À part ces inconvénients passagers, l’influence de la période de la Muse n’entra point dans son œuvre ; ces sucreries expirèrent à l’écorce contre la verdeur et la séve du jeune fruit croissant. Et puis la dissolution de la coterie arriva assez vite par l’effet d’un contre-coup politique. La chute de M. de Chateaubriand mit la désunion dans les rangs royalistes, et une bouffée perdue de cet orage emporta en mille pièces le pavillon couleur de rose, guitares, cassolettes, soupirs et mandores : il ne resta debout que deux ou trois poëtes.

On continua de se voir isolément et de s’aimer à dis-