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mot. Le caractère propre de l’idylle consiste à représenter l’homme dans un état de calme champêtre, d’innocence et de simplicité, où il jouisse librement de tout le bonheur naturel. Celui qui, dans les Préludes, nous avait chanté d’une voix attendrie : Je suis né parmi les pasteurs, réalise et déploie en ce tableau son premier vœu. Tous les rêves bucoliques des Florian, des Gessner, des Haller, sont élevés ici à la hardiesse et à la grandeur, dans ce cadre majestueux des Alpes, et 94 au fond. Abel était heureux à la face de ses parents inconsolés, le lendemain de la chute du monde : tandis que le sang d’André Chénier, de Marie-Antoinette et de madame Roland arrosait l’échafaud, l’hymne de ces deux enfants planait et montait au ciel dans le printemps d’avant Thermidor, et de dessus leur piédestal embaumé. Double triomphe, admirablement senti, perpétuellement vrai, de la jeunesse et de la nature, en face du désastre ardent de la société ! C’est bien là le poëte qui déjà s’était écrié, indiquant à l’âme blessée l’immortel dictame des forêts :

 
Mais la nature est là, qui t’invite et qui t’aime ;
Plonge-toi dans son sein qu’elle t’ouvre toujours !
Quand tout change pour toi, la nature est la même.
Et le même soleil se lève sur tes jours.


C’est bien de celui qui avait chanté par la bouche de Childe-Harold déclinant :


Triomphe, disait-il, immortelle Nature !…


Mais la société reprend ses droits, le devoir parle, l’idylle n’a eu qu’un jour. Jocelyn apprend que son