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l’absence d’échauffement. S’il était possible d’assigner aux vrais poëtes des heures naturelles d’inspiration et de chant, comme cela existe dans l’ordre de la création pour certains oiseaux harmonieux, nous dirions, sans trop de crainte de nous tromper, que Lamartine chante au matin, au réveil, à l’aurore (et réellement la plupart de ses pièces, celles même où il célèbre la nuit, sont écloses à ces premiers moments du jour ; il ébauche d’ordinaire en une matinée, il achève dans la matinée suivante). Il est presque évident, au contraire, qu’à part ce que la volonté impose à l’habitude, les heures instinctives où la voix éclate chez Victor Hugo doivent être celles du milieu du jour, du soleil embrasé, du couchant poudreux, ou encore de l’ombre fantastique et profonde. On devinerait également, ce me semble, que de Vigny ne réveille l’écho de son sanctuaire embaumé qu’après l’heure discrète de minuit, à la lueur de cette lampe bleuâtre qui éclaire Dolorida.

Lamartine a peu écrit en prose : pourtant son discours de réception à l’Académie française[1], sa brochure de la Politique rationnelle, un charmant morceau sur les Devoirs civils du Curé, un discours à l’Académie de Mâcon, indiquent assez son aisance parfaite en ce genre, et avec quelle simplicité de bon sens jointe à la grâce et à l’inséparable mélodie sa pensée se déroule sous une forme à la fois plus libre et plus sévère. La brochure politique, ou plutôt philosophique, qu’il a publiée sur

  1. Ce discours et l’impression qu’il fit au moment même ont été appréciés avec quelque détail dans le Globe du 3 avril 1830.