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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

En même temps que la matière et le fond ont augmenté chez Lamartine, le style et le nombre ont suivi sans peine et se sont tenus au niveau. Le rhythme a serré davantage la pensée ; des mouvements plus précis et plus vastes l’ont lancée à des buts certains ; elle s’est multipliée à travers des images non moins naturelles et souvent plus neuves. En faisant ici la part de ce qu’il y a de spontané et d’évolutif dans ce progrès du talent, nous croyons qu’il nous est permis de noter une influence heureuse du dehors. Si, en effet, Lamartine resta tout à fait étranger au travail de style et d’art qui préoccupait alors quelques poëtes, il ne restait nullement insensible aux prodigieux résultats qu’il en admirait chez son jeune et constant ami, Victor Hugo ; son génie facile saisit à l’instant même plusieurs secrets que sa négligence avait ignorés jusque-là. Quand le Cygne vit l’Aigle, comme lui dans les cieux, y dessiner mille cercles sacrés, inconnus à l’augure, il n’eut qu’à vouloir, et, sans rien imiter de l’Aigle, il se mit à l’étonner à son tour par les courbures redoublées de son essor.

Un des caractères les plus propres à la manière de Lamartine, c’est une facilité dans l’abondance, une sorte de fraîcheur dans l’extase, et avec tant de souffle

    plus haut, plus proche de leur origine, presque infréquentés, quand leur cours est si mystérieux, si voilé encore, que deux vieux saules penchés sur chaque rive peuvent se toucher du front et leur servir de berceau ! » — C’est précisément cet endroit de fraîcheur et de mystère que les Anciens choisissaient de préférence pour y dresser un autel à la source sacrée, au dieu du fleuve.