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de mon jugement. — En ce qui est des précédents articles, ils s’expliquent assez d’eux-mêmes. Je m’étais prêté volontiers à La Mennais, je ne m’étais point donné, et quand il outre-passa la ligne, d’ailleurs assez élastique et mobile, jusqu’où je croyais pouvoir l’accompagner et le suivre, je m’arrêtai et je ne craignis pas de le marquer nettement. Il m’est arrivé d’exprimer d’un mot cette situation en disant : « M. de La Mennais est, à lui seul, toute une révolution dont je suis resté le girondin. » Après tout, et le premier enthousiasme exhalé, les concessions ensuite et même les complaisances épuisées à leur tour, je redevenais ce que je suis au fond, un critique. Quel effet produisirent sur M. de La Mennais ces articles d’abord tout favorables, puis terminés par un temps d’arrêt et une sorte de holà ? Je le sais trop bien, et, si je l’avais ignoré, M. le pasteur Napoléon Peyrat, dans un livre de Souvenirs intitulé Béranger et La Mennais (1861), aurait pris soin de me l’apprendre. Voici le passage :


« Depuis que M. de La Mennais donnait dans la démagogie, M. Sainte-Beuve, par une évolution contraire, se retournait vers le pouvoir. Le tribun breton fut très-sensible à l’abandon du critique normand, dont les premières hostilités éclatèrent, je crois, contre les Affaires de Rome. « Je l’ai rencontré depuis, disait-il, dans le quartier de l’Odéon, il a d’abord balbutié je ne sais quoi, puis, tout interloqué, il a baissé la tête. Sa critique n’est que du marivaudage. »


Je pourrais répondre à M. Peyrat que d’abord je ne suis pas normand et que la demi-épigramme porte à faux. Il n’est pas exact non plus de dire que je fis en ce temps-là une évolution vers le pouvoir. Quoique ma retraite du National date à peu près de ce moment, je me gardai bien de me rapprocher de la politique dominante ni d’y tremper en rien ; je me tenais en dehors : c’est à tel point que lorsque M. de Salvandy, à quelques années de là, jugea à propos, à l’époque du mariage du duc d’Orléans, de me faire nommer, sans me consulter, pour la Légion d’honneur et de mettre mon nom