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numents, je dirai presque le touriste de génie qui, après tant d’autres illustres voyageurs, sait rajeunir l’immortelle peinture, et non point le pèlerin véritablement inquiet, le persécuté soucieux, qui va consulter l’oracle des fidèles. Sur son passage à Avignon, par exemple, croirait-on qu’un pèlerin croyant eût dit : « Ce passé triste, mais non sans grandeur, remplit d’une émotion profonde l’âme de celui qui traverse ces silencieux débris, pour aller au loin chercher d’autres débris, encore palpitants, de la même puissance ? » Il y a là anachronisme, si l’on peut dire, entre le moment du voyage et le ton récent de la rédaction. J’ose affirmer que, si l’un des deux compagnons de voyage de l’illustre auteur[1] abordait le même récit, il le ferait dans une impression toute différente. Au reste, ces pages de M. de La Mennais sont merveilleuses de jeunesse d’imagination, de transparence de couleur et, par moments, de philosophique tristesse : « D’Antibes à Gênes, la route côtoie presque toujours la mer, au sein de laquelle ses bords charmants découpent leurs formes sinueuses et variées, comme nos vies d’un instant dessinent leurs fragiles contours dans la durée immense, éternelle. » Et plus loin, en Toscane, il nous montre çà et là, « à demi caché sous des ronces et des herbes sèches, le squelette de quelque village, semblable à un mort que ses compagnons, dans leur fuite, n’auraient pu achever d’ensevelir. » Mais à

  1. Ces deux compagnons de voyage étaient l’abbé Lacordaire et le comte de Montalembert.