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catholique, dont, en effet, la plus large idée à nous, fils du siècle, nous était venue la veille par les conférences de Saint-Sulpice[1]. Ils envisagèrent donc M. de La Mennais comme un novateur audacieux en religion, un hérétique sans le savoir ; et, au point de vue philosophique, comme ruinant toute certitude individuelle sous prétexte de fonder celle du genre humain. Mais, au moins, ces personnes l’avaient étudié et l’appréciaient à beaucoup d’égards. Dans le reste du public distingué, faut-il le dire ? on n’ignorait pas que l’auteur de l’Indifférence était un prêtre de talent, ultramontain. La plupart, et des plus spirituels (j’en ai entendu), se demandaient : « Croit-il réellement ? Est-ce tactique ou conviction ? » et dans leur bouche facile, habituée aux feintes, ce doute n’exprimait pas une trop violente injure. On était fait à le voir de l’opposition ; mais on le confondait avec l’extrême droite dévote, avec les légitimistes absolus, desquels, au contraire, son principe fondamental le séparait. Son beau livre des Rapports de la Religion avec l’Ordre civil et politique, celui des Progrès de la Révolution, ses Lettres à l’Archevêque de Paris, ne détrompaient qu’imparfaitement, parce qu’il n’y avait que les personnes déjà au fait de l’homme qui les lussent avec réflexion et avidité. Aussi, quand l’Avenir parut après Juillet, beaucoup d’honnêtes gens s’étonnèrent, comme d’une volte-face, de ce qui n’était que la conséquence naturelle d’une doctrine déjà manifeste, une évolution conforme aux circonstances

  1. C’est-à-dire par M. Frayssinous.