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qu’il en soit, cette indifférence du siècle se révéla comme fait capital à M. de La Mennais, et il résolut de la contrarier par toutes les faces, de secouer de terre sa lâcheté assoupie, de l’insulter dans l’arène, comme on fait au buffle stupide, de la toucher au flanc de la pointe de cette lance trempée au sang du Christ. C’était mieux présumer d’elle qu’elle ne méritait : le succès ne fut pas ce qu’il devait être. Il y eut pourtant une vive sensation, comme on dit, mais stérile chez la plupart, et le nom de M. de La Mennais est resté pour eux un épouvantail ou une énigme. Le clergé, du sein duquel il sortait, se laissa aller unanimement d’abord au sentiment de l’admiration ; il eut l’air de comprendre ; il salua, il exalta d’un long cri d’espérance son athlète et son vengeur. Tandis que pour cette tâche, en effet, M. de Bonald était trop purement métaphysicien, M. de Chateaubriand trop distrait et profane, M. de Maistre d’une lecture peu accessible et alors presque inconnu, voilà que s’élevait un théologien ardent, unissant la hauteur des vues au caractère pratique, écrivain, raisonneur et prêtre, empruntant à Port-Royal, aux gallicans et à Jean-Jacques les formes claires, droites et françaises de leur logique et de leur style, les emplissant par endroits d’une invective de missionnaire, catholique d’ailleurs en doctrine comme Du Perron et Bellarmin. Le surnom de Bossuet nouveau circula donc en un instant sur les lèvres du clergé. Au dehors ce fut surtout de l’étonnement ; on n’admettait pas qu’un prêtre parlât sur ce ton aux puissances et qu’il se posât plus haut qu’elles avec cette audace d’aveu. Les uns le prenaient pour un