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sance fixe et rayonnante. On veut comprendre sans croire, recevoir les idées ainsi que le ferait un miroir limpide, sans être déterminé pour cela, je ne dis pas à des actes, mais même à des conclusions. Les plus vifs, les plus passionnés tirent de cette succession mobile une sorte de plaisir passager, enivrant, qui réduit sur eux l’impression de chaque idée nouvelle au charme d’une sensation ; ils s’éprennent et se détachent tour à tour, ils épousent presque un système nouveau comme Aristippe une courtisane, sachant qu’ils s’en lasseront bientôt : c’est une manière d’épicuréisme sensuel et raffiné de l’intelligence. On ne s’y livre pas d’abord de propos délibéré ; on se dit qu’il faut tout connaître et qu’il sera toujours temps de choisir : mais, l’âge venant, cette vertu du choix, cette énergie de volonté qui, se confondant intimement avec la sensibilité, compose l’amour, et avec l’intelligence n’est autre chose que la foi, dépérit, s’épuise, et un matin, après la trop longue suite d’essais et de libertinage de jeunesse, elle a disparu de l’esprit comme du cœur. On dirait que la quantité de volonté vive, fluide et non réalisée jusque-là, n’étant plus tenue en suspension par la chaleur naturelle à l’âge et la fermentation ignée de la vie, se précipite et s’infiltre plus bas en s’égarant. Déchue en effet des régions supérieures où une prévoyance féconde ne l’a pas su fixer, la volonté trop souvent, dans sa dispersion vers cet âge, se met misérablement au service de mille passions, de mille caprices de vanité ou de volupté, de mille habitudes vicieuses, inaperçues longtemps, et qui se démasquent soudainement dans