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fixes, ils ne sont point surpris. » Il étudia avec une ardeur précoce : à sept ans il savait la géographie et les voyages d’une manière qui surprit beaucoup le bon et savant Mentelle. L’enfant s’inquiétait déjà de la jeunesse des îles heureuses, des îles faciles de la Pacifique, d’Otaïti, de Tinian. On le mit d’abord en pension chez un curé, à une lieue d’Ermenonville ; les souvenirs de Rousseau l’environnèrent. En 1785, il entra au collége de la Marche, où il demeura quatre ans à faire ses humanités, jusqu’en juillet 89, studieux écolier, incapable d’un bon vers latin, mais remportant d’autres prix, et surtout dévorant Malebranche, Helvétius et les livres philosophiques du siècle ; ses croyances religieuses étaient, dès cet âge, anéanties. Il y avait eu longtemps désaccord en lui entre cette pensée hâtive et une puberté arriérée. Tendrement aimé de sa mère, près de laquelle il dut trouver un asile contre l’exigence d’un père absolu[1], il a rappelé souvent avec la vivacité des premiers prestiges les promenades faites en sa compagnie (aux vacances probablement) dans la forêt de Fontainebleau. Il s’y exaltait aux délices de la vie sauvage, et entretenait cette mère indulgente du projet d’aller s’établir seul dans une île ignorée.

  1. On verra dans l’appendice à la suite de ces articles, que M. de Sénancour tenait à réfuter cette supposition erronée, disait-il, qu’il avait été mal avec son père ; c’est d’un sentiment filial honorable ; mais il ne nous a pas transmis les détails qu’il promettait ni donné les éclaircissements qui eussent permis d’établir pour cette période de sa jeunesse une narration certaine et positive.