Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/144

Cette page a été validée par deux contributeurs.
136
PORTRAITS CONTEMPORAINS.

secondes, qui épousent une âme illustre et s’asservissent à une gloire : Wolff, a dit quelqu’un, fut le prêtre de Leibnitz. Dans les Lettres sacrées, Fontaine suivait Saci, et le bon Camus M. de Genève. Oh ! quand il m’arrivait d’entrer pas à pas en ces confidences pieusement domestiques, comme ma nature admiratrice et compréhensive se dilatait ! comme j’aurais voulu avoir connu de près les auteurs, les inspirateurs de ces récits ! Comme j’enviais à mon tour d’être le secrétaire et le serviteur des grands hommes !… » On se figure aisément combien j’eus à rabattre de cette sensibilité excessive dans le commerce habituel et prolongé des amours-propres. Presque chacune de ces biographies fournirait matière à un petit appendice à l’appui de La Rochefoucauld et aurait ainsi son revers. L’Étude sur Béranger ne fut pas sans amener ses incidents. On peut voir dans la Correspondance, publiée par M. Paul Boiteau, les lettres du célèbre chansonnier qui se rapportent à ces articles (7 octobre, 21 novembre, 3 décembre 1832, et 5 mars 1833). L’amitié resta entière entre nous jusqu’à la publication de mon roman de Volupté, qui, je ne sais pourquoi, déplut fort à Béranger par son esprit, et même lui porta ombrage en quelques endroits. La même Correspondance renferme une lettre de Béranger (9 décembre 1834) en réponse à l’une des miennes, par laquelle je m’étais plaint à lui de ses soupçons. Pour mieux fixer cette première altération dans nos rapports, je ne crois pouvoir rien faire de mieux que de mettre ici deux de mes lettres adressées à Béranger en 1834 et 1835, et qui m’ont été rendues par MM. Perrotin et Boiteau. Autant vaut qu’elles soient publiées par moi qu’après moi.

Voici la première, qui exprimait mes plaintes pour certains propos qui me revenaient de Passy :


« Mon cher Béranger,

« Bien que j’eusse bien pris la résolution de me taire vis-à-vis de vous jusqu’à ce que le hasard me fit vous rencontrer, je crois pourtant sentir qu’il est mieux de vous demander franchement en