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PORT-ROYAL.

qu’au bout d'une demi-heure de n’importe quelle dispute, personne des contendants n’a plus raison et ne sait plus ce qu’il dit : que faut-il penser quand on est au bout d’un demi-siècle ? Les plus modestes y gagnent quelque chose d’opiniâtre, les plus doux ont leur coin d’endurcissement.

Port-Royal avait raison, je le crois, en commençant la dispute ; mais il est des sentiers que le choc seul gâte et ravage, qu’il faut se hâter d’abandonner dès que la dispute nous y suit ; car cela devient, au bout de dix pas, un sentier inextricable de ronces. Port-Royal eut le tort (comme quelques-uns des siens le sentirent) de ne pas se retirer, se taire, s’abîmer pour le moment, afin de reprendre ensuite par quelque autre chemin où la paix se retrouverait.

L’ascétisme dont Port-Royal, chez Lancelot, chez M. Hamon, chez M. de Tillemont, plus tard, au dix-huitième siècle, chez M. Collard, nous offrira de si humbles, de si savants, de si accomplis modèles, y eut aussi des excès. Bien qu’en général on y semblât garder une sorte de juste milieu entre les rigueurs de La Trappe et le relâchement des autres Ordres, quelques-uns des solitaires, sur quelques points, ont passé outre. M. Le Maître s’est détruit par ses austérités ; M. de Pontchâteau s’est tué, malgré ses directeurs, à force de trop jeûner.

VII — Puisque nous y sommes et que notre regard est en train de courir, il faut épuiser les points de vue. Poétiquement donc, si l’on ose ainsi dire, et pour l’intérêt d’émotion qui s’éveille dans les cœurs, notre sujet enfin n’est point ingrat. Ce Port-Royal tant aimé des siens, qu’on voit renaître, grandir, lutter, être veuf longtemps ou de ses solitaires ou même de ses sœurs, puis les retrouver pour les reperdre encore et pour être