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PENSÉES D’AOÛT.

Sur ma fille et sur moi : s’ils rencontraient nos yeux,
C’était vite un salut de tête, gracieux,
Qu’il leur fallait bien rendre ; importune façade !
Et le grand paysage en devenait maussade.

Je soupçonnai d’abord quelque étincelle en jeu
Entre la jeune fille et le blond à l’œil bleu ;
De là déguisement, amoureuse équipée…
Mais, au second aspect, je fus bien détrompée :
La belle enfant n’avait qu’un regard qui se tait,
Et lui n’y cherchait rien, ou même l’évitait.

Mais la mère, la mère, hélas ! la pauvre femme,
De ses secrets bientôt j’interceptai la flamme.
Tandis que le jeune homme, au spectacle attaché,
Trahissait, même ainsi, son noble essor caché,
Elle, qui le suivait dans l’oubli qui l’enlève,
Quand il était resté trop longtemps sous son rêve,
Lui dépêchait sans bruit un des sales marmots
Rappelé tout exprès, descendu des ballots
Où leur faveur pour nous les tenait en vedette ;
Et l’enfant s’approchait, et, comme une sonnette,
Tirant le pan d’habit, il allait brusquement
Sans pitié pour l’extase et pour l’enchantement.
Ainsi nous revenait le rêveur qui s’oublie.
Un geste, un froncement à la lèvre pâlie,
Aussitôt réprimés, passaient comme un éclair ;
Il prenait le petit et l’appelait son cher,
Et le baisait tout sale au milieu du visage,
Et, pendant quelque temps laissant le paysage,
Il s’efforçait ailleurs, et marquait qu’il songeait
À celle qui de lui faisait l’unique objet.

Je ne m’en tenais plus sur un point au peut-être ;