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PENSÉES D’AOÛT.

Le silence lui seul et le calme entendu,
La couleur des reflets. La nue un peu brisée
Jetait un gris de perle à la vague irisée,
Et le lac infini fuyait dans sa longueur.
Cette tranquillité me distillait au cœur
Un charme, qui d’abord aux larmes nous convie :
« Oh ! disais-je en mon vœu, rien qu’une telle vie,
Rien qu’un destin pareil au jour qu’on vient d’avoir,
Lourd, orageux aussi, mais avec un tel soir ! »

À Lausanne, aussitôt que la barque m’y jette,
Qu’ai-je fait ? tout d’un bond j’ai cherché la Retraite,
C’est le nom (près de là) de la douce maison,
Où des amis bien chers ont fait une saison.
Ils m’en parlaient toujours d’une secrète joie.
Le lac vu du jardin, ces grands monts de Savoie
Tout en face, si beaux au couchant enflammé,…
J’ai voulu prendre un peu de ce qu’ils ont aimé.
Je suis allé, courant comme à la découverte,
Demandant le chemin à chaque maison verte,
Tant que, lisant le nom sur la barrière écrit,
Je m’y sois arrêté d’un regard qui sourit ;
Et, sans entrer plus loin (car si matin je n’ose),
J’ai tout vu du dehors, comme hélas ! toute chose.
Enfin j’ai côtoyé, j’ai compris ce doux lieu ;
À mes amis, un soir d’hiver, au coin du feu,
Je dirai : Je l’ai vu ; je pourrai leur répondre,
Et, sur un point de plus, l’âme ira se confondre.

À Thoun, miroir si pur, de granit encadré,
Je voguais, à la main tenant mon cher André,
Négligemment, sans but… Tout d’un coup, à la page
Où je lisais le moins, je saisis un passage :
Ô Thoun, onde sacrée ! [1] — Il a vu ces grands bords ;

  1. André Chénier, Élégie 40°.