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PENSÉES D’AOÛT.

La Muse des Latins, c’est de la Grèce encore ;
Son miel est pris des fleurs que l’autre fit éclore.
N’ayant pas eu du ciel, par des dons aussi beaux,
Grappes en plein soleil, vendange à pleins coteaux,
Cette Muse moins prompte et plus industrieuse
Travailla le nectar dans sa fraude pieuse,
Le scella dans l’amphore, et là, sans plus l’ouvrir,
Jusque sous neuf consuls lui permit de mûrir.
Le nectar, condensant ses vertus enfermées,
À propos redoubla de douceurs consommées,
Prit une saveur propre, un goût délicieux,
Digne en tout du festin des pontifes des Dieux.
Et ceux qui, du Taygète absents et d’Érymanthe,
Ne peuvent, thyrse en main et couronnés d’acanthe,
En pas harmonieux, dès l’aube, y vendanger,
Se rabattent plus bas à ce prochain verger,
Où le maître leur sert la liqueur enrichie
Dans sa coupe facile et toujours rafraîchie.
Ne la rejetons point par de brusques dégoûts ;
Falerne qui se mêle au Chypre le plus doux,
Il rend la joie au cœur ! Ne brisons point d’Horace
Le calice fécond de sagesse et de grâce ;
Pour plus d’un noble esprit, de travail accablé,
C’est l’antiquité même et son suc assemblé,
C’est la source du beau, des justes élégances,
La gaieté du dessert, des champs et des vacances.
Virgile, c’est l’accent qui revient émouvoir,
C’est l’attendrissement du dimanche et du soir !

Mon père ainsi sentait. Si, né dans sa mort même[1],
Ma mémoire n’eut pas son image suprême,

  1. Je suis né après la mort de mon père, que ma mère perdit l’année même de son mariage.