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POÉSIES

Si je pouvais atteindre ici-bas ton image,
D’un cœur rempli de toi mettre à tes pieds l’hommage,
Ô vierge, et l’obtenir !

Ah ! ne l’espère point ;… ne crains point que je veuille
Entre tes doigts fleuris sécher la verte feuille
Du bouton que tu tiens,
Verser un souffle froid sur tes destins rapides,
Un poison dans ton miel, et dans tes jours limpides
L’amertume des miens.

Un mal longtemps souffert me consume et me tue ;
Le chêne, dont toujours l’enfance fut battue
Par d’affreux ouragans,
Le tronc nu, les rameaux tout noircis, n’est pas digne
D’enlacer en ses bras et d’épouser la vigne
Aux festons élégants.

Non ; c’en est fait, jamais ! ni son regard timide,
Où de l’astre d’amour tremble un rayon humide,
Ni son chaste entretien,
Propos doux comme une onde, ardents comme une flamme,
Serments, soupirs, baisers, son beau corps, sa belle âme,
Non, rien, je ne veux rien !

Rien, excepté l’aimer, l’adorer en silence ;
Le soir, quand le zéphyr plus mollement balance
Les rameaux dans les bois,
Suivre de loin ses pas sur l’herbe défleurie,
Épier les détours où fuit sa rêverie,
L’entrevoir quelquefois ;

Et puis la saluer, lui sourire au passage,
Et, par elle chargé d’un frivole message ;
Obéir en volant ;