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PENSÉES D’AOÛT.


À M. VILLEMAIN


Cui pauca relicti
Jugera ruris erant…

Virgile.


Oh ! que je puisse un jour, tout un été paisible,
Libre de long projet et de peine sensible,
Aux champs sous votre toit, ô bienveillant railleur,
Dans la maison d’un Pline au goût sûr et meilleur,
Causer et vous entendre, et de la fleur antique
Respirer le parfum où votre doigt l’indique,
Et dans ce voisinage et ce commerce aimé,
Me défaire en mes vers de ce qu’on a blâmé,
Sentir venir de vous et passer sur ma trace
Cette émanation de douceur et de grâce,
Et cette lumineuse et vive qualité,
Par où l’effort s’enfuie et toute obscurité !
Et puissé-je, en retour de ce bienfait de maître,
Tout pénétré de vous, vous pénétrer peut-être,
Vous convaincre une fois (car on a ses raisons),
Et vous les embellir, comme Horace aux Pisons !

En attendant, je veux sur mon petit poëme,
Sur ce bon Magister un peu chétif et blême,
Vous dire mon regret de son sort, mon souci
Chaque fois que chez vous je n’ai pas réussi.
Si votre grâce aimable élude quelque chose,
Quand je vous parle vers, si vous louez ma prose,
Si, quand j’insiste, hélas ! sur le poëme entier,
Votre fuite en jouant se jette en un sentier,