Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/546

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
224
PENSÉES D’AOÛT.


Peut-être à tous les vœux de la jeunesse enfuie
Il ne faut pas toujours dire qu’on a failli.
Pour l’avenir qui naît et pour sa jeune vie
On peut croire au fruit d’or qu’on n’aura pas cueilli.

Il serait bon d’ailleurs (et même pour l’exemple,
Dans les rôles divers, c’en serait un bien sûr),
Que quand tous à la fête, à la ville, à son temple,
Se hâtent, l’un restât, servant l’autel obscur.

Comme moi vous savez une Dame au bocage
(Las ! aujourd’hui luttant contre un mal inhumain !),
Qui ne veut qu’une allée en tout son vaste ombrage,
Et de qui l’on a dit : « Elle est dans son chemin[1] ! »

Oh ! que je fasse ainsi sur ma maigre colline,
Vers les scabreux penchants où la chèvre me suit !
Qu’en mon caprice même un sentier se dessine,
Tournant, et non brisé, de l’aurore à la nuit !

Pourtant la solitude a ses heures amères ;
Des cités, je le sais, parfois un vent nous vient,
Une poussière, un cri, qui corrompt les chimères
Et relance au désir un cœur qui se retient.

Alors tout l’être souffre ! on aspire le monde,
On y voudrait aussi sa force et son emploi.
On dit non au désert, à la verdure, à l’onde ;
Et les zéphyrs troublés ne savent pas pourquoi.

Peut-être, hélas ! l’envie au pauvre cœur va naître,
Et cet amour haineux de l’éclat qu’on n’a pas ;

  1. La duchesse de Rauzan. — Se rappeler les sonnets à elle adressés précédemment.