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PENSÉES D’AOÛT.


Avoir été, c’est Rome aujourd’hui tout entière.
Janus ici lui-même apparait mutilé ;
Son front vers l’avenir n’a forme ni lumière,
L’autre front seul regarde un passé désolé.

Et quels aigles pourraient lui porter les augures,
Quelle Sibylle encor lui chanter l’avenir ?
Ah ! le mon le vieillit, les nuits se font obscures…
Et nous, venus si tard, et pour tout voir finir,

Nous, rêveurs d’un moment, qui voulons des asiles,
Sans plus nous émouvoir des spectacles amers,
Dans la Ville éternelle, il nous siérait, tranquilles,
Au bout de son déclin, d’attendre l’Univers.

Voilà de Cestius la pyramide antique ;
L’ombreau bas s’en prolonge et meurt dans les tombeaux[1]
Le soir étend son deuil et plus avant m’explique
La scène d’alentour, sans voix et sans flambeaux.

Comme une cloche au loin confusément vibrante,
La cime des hauts pins résonne et pleure au vent :
Seul bruit dans la nature ! on la croirait mourante ;
Et, parmi ces tombeaux, moi donc, suis-je vivant ?

Heure mélancolique où tout se décolore
Et suit d’un vague adieu l’astre précipité !
Les étoiles au ciel ne brillent pas encore :
Espace entre la vie et l’immortalité !

Mais, quand la nuit bientôt s’allume et nous appelle
Avec ses yeux sans nombre ardents et plus profonds,

  1. Le cimetière des Protestants à Rome.