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PENSÉES D’AOÛT.


C’est celle que plus tard, non plus Grecque naïve,
Fleur des palais d’Homère et de l’antique ciel,
Mais Béatrix déjà, plus voilée et pensive,
Canove ira choisir pour le myrte immortel !

Mais à quoi tout d’abord rêve-t-elle à l’entrée
De son bel avenir, au fond de ses berceaux ?
À quoi s’oublie ainsi la jeune Idolâtrée ?
À quelle odeur subtile ? à quel soupir des eaux ?

À quel chant de colombe ?… à sa harpe éloignée ?
À l’abeille, au rayon ?.. au piano de son choix ?
Peut-être au char magique où luit la Destinée,
Au frère du Consul, à ceux qui seront Rois ?

À l’épée, au génie, à la vertu si sainte,
À tout ce long cortège où chacun va venir
La nommer la plus belle, et, dans sa chaste enceinte,
S’irriter, se soumettre, et bondir, et bénir ?

Car qui la vit sans craindre, en ces heures durables,
En ces printemps nombreux et si souvent nouveaux,
Les sages et les saints eux-mêmes égarables,
Les pères et les fils enchaînés et rivaux ?

Heureuse, elle l’est donc ; tout lui chante autour d’elle ;
Un cercle de lumière illumine ses pas ;
C’est miracle et féerie ! — « Arrêtez, me dit-elle ;
Heureuse, heureuse alors, oh ! ne le croyez pas ! »

— Elle a dit vrai. — Du sein de la fête obligée,
En plein bal, que de fois (écoutez cet aveu),
Songeant au premier mot qui l’a mal engagée,
Retrouvant tout d’un coup l’irréparable vœu,