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PENSÉES D’AOÛT.

Je me dis de ne pas, tout d’abord, me heurter,
De croire et de m’asseoir, de me laisser porter ;
Qu’au sommet aplani luit le divin salaire ;
Je dis, et malgré tout, cœur libre et populaire,
Chaque fois que j’aspire à l’antique rocher,
Maint aspect tortueux m’interdit d’approcher !

Et cependant l’on souffre et l’on doute avec transe ;
N’est-il plus en nos jours besoin de délivrance,
D’asile au toit béni, d’arche au-dessus des eaux,
De rameau séculaire entre tant de roseaux ?

Souvent l’hiver dernier, en douce compagnie
Où les noms plus obscurs et des noms de génie,
Et d’autres couronnés de bonté, de beauté,
S’unissaient dans un nœud de libre intimité,
Comme aux chapeaux de Mai, sous la main qui se joue,
La pâle ou sombre fleur au bouton d’or se noue ;
Souvent donc, réunis par qui savait choisir,
Tous chrétiens de croyance ou du moins de désir,
Ces soirs-là, nous causions du grand mal où nous sommes,
De l’avenir du monde et des rêves des hommes,
De l’orgueil emporté qui déplace les cieux,
De l’esprit toutefois meilleur, religieux,
Jeune esprit de retour, souffle errant qui s’ignore,
Qu’il faut fixer en œuvre avant qu’il s’évapore.
Puis par degrés venait le projet accueilli
De faire refleurir Port-Royal à Juilly,
Ou plus près, quelque part ici, dans Paris même,
Et dans quelque faubourg d’avoir notre Solesme.
Et c’étaient des détails de la grave maison,
Combien de liberté, d’étude ou d’oraison,
La règle, le quartier, tout… hormis la demeure,
Et le plus vif sortait pour la chercher sur l’heure.