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PENSÉES D’AOÛT.


........ Nam cur
Quae laedunt oculos festinas demere : si quid
Est animum, differs curandi tempus in annum ?

Horace, Ép., II., liv. i.


Dans ce cabriolet de place j’examine
L’homme qui me conduit, qui n’est plus que machine,
Hideux, à barbe épaisse, à longs cheveux collés :
Vice et vin et sommeil chargent ses yeux soûlés.
Comment l’homme peut-il ainsi tomber ? pensais-je,
Et je me reculais à l’autre coin du siége.
— Mais Toi, qui vois si bien le mal à son dehors,
La crapule poussée à l’abandon du corps,
Comment tiens-tu ton âme au dedans ? Souvent pleine
Et chargée, es-tu prompt à la mettre en haleine ?
Le matin, plus soigneux que l’homme d’à-côté,
La laves-tu du songe épais ? et dégoûté,
Le soir, la laves-tu du jour gros de poussière ?
Ne la laisses-tu pas sans baptême et prière
S’engourdir et croupir, comme ce conducteur
Dont l’immonde sourcil ne sent pas sa moiteur ?



À ULRIC GUTTINGUER[1]


Les vieilles amitiés, si elles ne sont pas pour nous, demeurent contre nous, et c’est amer.
Lettres.


Chez lui, chez vous surtout, une aigreur s’est glissée ;
Elle dure et s’augmente, et corrompt la pensée.

  1. Après une longue et tendre intimité, il était survenu une grave alté-