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PENSÉES D’AOÛT.

Un matin vous sortiez, funèbre et solitaire ;
Ce jour, le plus extrême et le plus imprévu,
Pour changer tout d’un coup, Ami, qu’avez-vous vu ?
Vous vous taisez ! — La tombe, au lointain cimetière,
Vous dit-elle un secret et s’ouvrit-elle entière ?
Quel vieillard s’est assis, et puis s’en est allé ?
Pour vous, comme à Pascal, un gouffre a-t-il parlé ?
Comme à l’antique Hermas, dans le bleu de la nue,
Quelle vierge a penché sa beauté reconnue ?
Vos genoux, par hasard heurtés, ont-ils plié,
Et tout ce changement vient-il d’avoir prié ?
Le mystère est en vous, mais la preuve est touchante :
Votre foi le trahit, le murmure et le chante.
À partir de ce jour, vous avez tout quitté ;
Sur un rocher, sept ans, devant l’Éternité,
Devant son grand miroir et son fidèle emblème,
Devant votre Océan, près des grèves qu’il aime,
Vous êtes resté seul à veiller, à guérir,
À prier pour renaître, à finir de mourir,
À jeter le passé, vain naufrage, à l’écume,
À noyer dans les flots vos dépôts d’amertume,
Repuisant la jeunesse au vrai soleil d’amour,
Patriarche d’ailleurs pour tous ceux d’alentour,
Donnant, les instruisant, et dans vos soirs de joie
Chantant sur une lyre ! — Et pour peu qu’on vous voie
Aujourd’hui si serein, si loin des anciens pleurs,
Le front mélancolique effleuré de lueurs,
Époux d’hier béni, les cheveux bruns encore,
On vous croirait sortant, belle âme qui s’ignore,
De vos vierges forêts et du naïf manoir,
Vous qui sûtes la vie et son triste savoir !

Vous la savez, Ami ; mais votre cœur préfère
Ensevelir au fond la connaissance amère,