Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/500

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
178
PENSÉES D’AOÛT.

Nous avertit parfois si trop loin on s’enfonce.
Le sentiment, plus prompt, et qui si beau s’annonce,
Amoureux en naissant de voler et briller,
S’évapore bientôt ou se tourne à railler.
Velléités sans but d’une âme mal soumise !
Avertissements sourds que rien ne divinise,
Sans écho, sans autel, sans prière à genoux,
Et qu’un chacun qui passe a vite éteints en nous !
Le jour succède au jour ; plus avant on s’engage :
La réforme boiteuse, et qui vient avec l’âge,
N’introduit bien souvent qu’un vice plus rusé
Aux dépens d’un aîné fougueux qui s’est usé,
Les vains honneurs, l’orgueil vieillissant qui s’attriste,
Ou les molles tiédeurs d’un foyer égoïste,
— Foyer, — famille au moins, dernier lien puissant.
Ainsi le siècle va, sous son faux air décent.
Où donc la vie austère, assez tôt séparée ?

Ô vous à qui j’écris, vous me l’avez montrée !
Comme ceux d’autrefois dont l’âme eut son retour,
Ami, vous avez eu dans votre vie un jour !
Un jour où, comme Paul vers Damas, en colère
Vous couriez, insultant ce qu’un doux ciel éclaire,
Frémissant de la lèvre aux splendeurs du matin,
Accusant le soleil des dégoûts du festin,
Et rejetant votre âme aux voûtes étoilées,
Comme un fond de calice à des parois souillées ;
Un jour, après six ans de poursuite et d’oubli,
Quand il n’était pour vous de fleur qui n’eût pâli,
Quand vous aviez, si jeune et las de chaque chose,
Cent fois l’heure dit non à tout ce que propose
L’insatiable ennui ; quand, au lieu de soupirs,
C’était enfin révolte et haine à tous désirs,
Et que, ne sachant plus quoi vouloir sur la terre,