Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/50

Cette page a été validée par deux contributeurs.
40
POÉSIES

Après qu’on l’a franchi, l’âpre sentier s’efface,
Et le sol en fuyant semble voiler sa face
Sous un plus vert manteau.

L’aspect du mal souffert repose l’âme usée ;
La sueur de midi nous retombe en rosée,
Quand le jour va finir ;
Le passé s’adoucit aux yeux de la souffrance,
Autant qu’aux jeunes yeux où reluit l’espérance
S’embellit l’avenir.

Un ciel plus pur déjà s’est entr’ouvert pour Charle,
Sur son chemin de mort tout s’anime et lui parle
De bonheur et d’amour ;
L’autan fougueux n’est plus qu’un zéphyr qui caresse ;
Le roc à peine fend la vague qui le presse
Et qui meurt alentour.

Un Génie a passé sur ce désert sauvage,
Des bouquets d’orangers aux sables du rivage
Mêlent leurs rameaux verts ;
L’Océan au soleil se dore d’étincelles,
Et d’écume il blanchit sous les mille nacelles
Dont ses bords sont couverts,

Mais Charles toujours monte et s’avance à l’abîme ;
Il y touche : devant ce spectacle sublime,
La mer, les cieux, les bois,
Il hésite un moment ; puis, s’asseyant au faite,
Avant de s’en aller, il veut voir une fête
Pour la dernière fois.

Ce n’est pas un regret, un espoir qui l’enchaîne ;
C’est pur désir de voir, curiosité vaine,
Qui le retarde encor.