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PENSÉES D’AOÛT.

Ainsi Ton l’ait de toi, chaste Muse plaintive,
Qui de trop doux parfums entouras l’oranger ;
Ces bosquets que j’aimais de notre ancienne rive,
Je n’ose y ressonger.

Puis, à toi, ta blessure est si simple et si belle,
Si belle de motif, et pour un soin si pur,
Toi, chaque jour, laissant quelque part de ton aile
Au fond du nid obscur,

Que c’est, pour nous, souffrant de nos fautes sans nombre,
De vaines passions, d’ambitieux essor,
Que c’est reproche à nous de t’écouter dans l’ombre
Et de nous plaindre encor.

Plus d’un, crois-le pourtant, a sa tâche qui l’use,
Et sa roue à tourner et son crible à remplir,
Et ce labeur pesant, meurtrier de la Muse
Qu’il doit ensevelir.

Sacrifice pénible et méritoire à l’âme,
Non pas sur le haut mont, sous le ciel étoilé,
D’un Isaac chéri, sans autel et sans flamme
Chaque jour immolé !

L’âme du moins y gagne en douleurs infinies ;
Du trésor invisible elle sent mieux le poids.
N’envions point leur gloire aux fortunés génies,
Que tout orne à la fois !

Sans plus chercher au bout la pelouse rêvée,
Acceptons ce chemin qui se brise au milieu ;
Sans murmurer, aidons à l’humaine corvée,
Car le maître, c’est Dieu !