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PENSÉES D’AOÛT.

Son vrai père de l’âme !… Et pourtant c’était l’autre
Dont il s’émouvait d’être et le fils et l’apôtre !

Tendresse et piété surmontant ses effrois,
Il tenta la rencontre une seconde fois.
Dans la rue il voulait lui parler au passage,
Pourvu qu’un seul sourire éclairât son visage.
Mais, bien loin d’un sourire à ce front sans bonheur,
Le sourcil méfiant du pauvre promeneur
Le contint à distance, et fit rentrer encore
Ce nom à qui le Ciel interdisait d’éclore.

La crise était à bout, ce moment abrégea.
Il revint au château, plus raffermi déjà.

La lèpre de naissance et l’exil sur la terre,
L’expiation lente et son âpre mystère ;
L’invisible rachat des fautes des parents ;
À côté des rigueurs, les secrets non moins grands
De la miséricorde, et dans ce saint abîme,
Lui, peut-être, attendu de tout temps pour victime ;
Son rôle nécessaire, ici-bas imposé,
De réparer un peu de ce qu’avait osé,
Trop haut, l’immense orgueil dans un talent immense,
Et sa tâche avant tout de vanner la semence ;
Ce lourd trajet humain plus sombre que jamais,
Plus que jamais réglé sur les lointains sommets :
Tout en lui s’ordonna : la Grâce intérieure,
Par un tressaillement, lui disait : Voilà l’heure !
Avec la Présidente il s’ouvrit d’un parti :
On conféra longtemps ; bref, il fut consenti
Que, pour gravir, chrétien, sa première montée :
Pour mûrir ; pour ne plus demeurer à portée
De cet homme au grand nom, près de qui, chaque jour.