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PENSÉES D’AOÛT.

Aux Charmettes cueillit la pervenche en montant ;
S’il revit l’œil en pleurs ce qu’avait vu le maître,
Que ne l’a-t-il donné quelquefois à connaître,
D’un vers rajeunissant, qui charme avec détour,
Et laisse aussi sa trace aux lieux de son amour !
C’est qu’à moins du pur don unique, incomparable,
L’effort seul initie à la forme durable,
Secret du bien-parler que d’un Virgile apprend
Même un Dante, et qui fuit tout vaporeux errant.
Aubignié, sans dédain, effleura le mystère
Et ne l’atteignit pas. Que d’essais il dut taire,
Au hasard amassés ! Et les ans s’écoulaient ;
Les plaintes des parents, plus hautes, s’y mêlaient :
Les dégoûts, les fiertés, une âme déjà lasse,
L’éloignaient chaque jour des sentiers où l’on passe :
Il n’en suivit jamais. S’il tente quelque abord,
Tout lui devient refus, et son rêve est plus fort.
Puis, plus on tarde, et plus est pénible l’entrée :
La jeunesse débute, et sa rougeur agrée ;
Elle ose, on lui pardonne, on l’aide à revenir :
Mais, quand la ride est faite, il faut mieux se tenir.
La main se tend moins vite à la main déjà rude.
Bref, d’essais en ennuis, d’ennuis en vague étude,
Des parents rejeté, qui, d’abord complaisants,
Bientôt durs, à la fin se sont faits méprisants,
Aubignié, ce cœur noble et d’un passé sans tache,
Usé d’un lent malheur qu’aucun devoir n’attache,
Ne sait plus d’autre asile à ses cuisants affronts,
À ses gènes, hélas ! que quand aux bûcherons
Des forêts d’Oberman[1], et les aidant lui-même,
Il va demander gîte, ajournant tout poëme,
Ou toujours amusé du poëme incertain

  1. Probablement la forêt de Fontainebleau.