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PENSÉES D’AOÛT.

Devant ce Raphaël et sa sublime page,
Au plus mourant soupir du chant du rossignol,
Au plus fuyant rayon où s’égarait ton vol,
Dis-toi bien : Tout ce beau n’est que faste et scandale
Si j’hésite, et si l’ombre à l’action s’égale.

Marèze un seul instant n’avait pas hésité ;
Il s’est dit seulement, dans sa force excité,
Que peut-être il saurait, son œuvre commencée,
Nourrir enfant et sœur du lait de sa pensée.
Il hésite, il espère en ce sens, et bientôt,
L’aube éteignant la nuit, son œil plus las se clôt.

Au matin un réveil l’attendait qui l’achève.
Une ancienne cliente à lui, madame Estève,
Avait, par son conseil, confié le plus clair
D’une honnête fortune à quelque premier clerc
Établi depuis peu, jusqu’alors sans reproche ;
Mais le voilà qui part, maint portefeuille en poche.
La pauvre dame est là, hors d’elle, racontant.
Marèze y perd aussi, peu de chose pourtant :
Mais il se croit lié d’équité rigoureuse
À celle qu’un conseil a faite malheureuse.
Courage ! il rendra tout ; il soutiendra sa sœur,
Il marira sa nièce ; et, sans plus de longueur,
Il court chez un ami : tout juste un commis manque ;
Commis, le lendemain, il entre en cette banque ;
Et là, remprisonné dans les ais d’un bureau,
Sans verdure à ses yeux que le vert du rideau,
Il vit, il y blanchit, régulier, sans murmure,
Heureux encor le soir d’une simple lecture
À côté de sa sœur, — un poëte souvent
Qu’un retour étouffé lui rend trop émouvant,
Et sa voix s’interrompt ;… — lecture plus sacrée