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PENSÉES D’AOÛT.

Jusqu’à trente-trois ans il avait persisté
Avec zèle et succès au sentier adopté,
Sentier sombre et mortel aux chimères légères.
Il tenait, comme on dit, un cabinet d’affaires ;
De finance ou de droit il débrouillait les cas,
Et son conseil prudent disait les résultats
Or, Marèze cachait sous ce zèle authentique
Un esprit libre et grand, peut-être poétique,
Ou politique aussi, mais capable à son jour
D’arriver s’il voulait, et de luire alentour.
À sa tache, où le don inoccupé se gâte,
Trop longtemps engagé, tout bas il avait hâte
De clore et de sortir, et de recommencer
Une vie autre et vraie, appliquée à penser.
Plus rien n’allait gêner son être en renaissance :
Son cabinet vendu lui procurait aisance,
Sa sœur avait famille en un lointain pays,
Et son père et sa mère étaient morts obéis
Car l’abri paternel qui protège et domine
S’abattant, on est maître, hélas ! sur sa colline.

Dans ce frais pavillon au volet entr’ouvert,
Où la lune en glissant dans la lampe se perd,
Devant ce Spasimo[1] comme une autre lumière
Dont la paroi du fond s’éclaire tout entière,
Près des rayons de cèdre où brillent à leur rang
Le poète d’hier aisément inspirant,
L’ancien que moins on suit, plus il convient d’entendre,
Que fait Marèze ? Il veille et se dit d’entreprendre.
Depuis un an passé qu’il marche vers son vœu,
Le joug est jeté loin ; il s’en ressouvient peu,
Que pour mieux posséder sa pensée infinie.

  1. La gravure du beau tableau de Raphaël qui porte ce nom.