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LES CONSOLATIONS.

Je n’y voyais que sons, couleurs, formes, chaos,
Parure bigarrée et parfois noirs fléaux ;
Et, comme un nain chétif, en mon orgueil risible,
Je me plaisais à dire : Où donc est l’invisible ?
Mais, quand des grands mortels par degrés j’approchai,
Je me sentis de honte et de respect touché ;
Je contemplai leur front sous sa blanche auréole,
Je lus dans leur regard, j’écoutai leur parole ;
Et comme je les vis mêler à leurs discours
Dieu, l’âme et l’invisible, et se montrer toujours
L’arbre mystérieux au pacifique ombrage,
Qui, par de la les mers, couvre l’autre rivage,
— Tel qu’un enfant, au pied d’une haie ou d’un mur,
Entendant des passants vanter un figuier mûr,
Une rose, un oiseau qu’on aperçoit derrière,
Se parler de bosquets, de jets d’eau, de volière,
Et de cygnes nageant en un plein réservoir, —
Je leur dis : Prenez-moi dans vos bras, je veux voir.
J’ai vu, Seigneur, j’ai cru ; j’adore les merveilles,
J’en éblouis mes yeux, j’en emplis mes oreilles,
Et, par moments, j’essaie à mes sourds compagnons,
À ceux qui n’ont pas vu, de bégayer tes noms.

Paix à l’artiste saint, puissant, infatigable,
Qui, lorsqu’il touche au terme et que l’âge l’accable,
Au bord de son tombeau s’asseyant pour mourir
Et cherchant le chemin qu’il vient de parcourir,
Y voit d’un art pieux briller la trace heureuse,
Compte de monuments une suite nombreuse,
Et se rend témoignage, à la porte du ciel,
Que sur chaque degré sa main mit un autel !
Il n’a plus à monter ; il passe sans obstacle
Du parvis et du seuil au premier tabernacle,
Un Séraphin ailé par la main le conduit ;