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LES CONSOLATIONS.

Qui savez comme on pleure, ou de joie ou de deuil,
Près d’un berceau vermeil ou sur un noir cercueil,
Et comme on aime Dieu même alors qu’il châtie,
Et comme la prière à l’âme repentie
Verse au pied de l’autel d’abondantes ferveurs,
Oh ! n’enviez jamais ces inquiets rêveurs
Dont la vie ennuyée avec orgueil s’étale,
Ou s’agite sans but turbulente et fatale.
Seuls, ils croient tout sentir : délices et douleurs ;
Seuls, ils croient dans la vie avoir le don des pleurs,
Avoir le sens caché de l’énigme divine,
Avoir goûté les fruits de l’arbre et sa racine,
Et, fiers de tout connaître, ils raillent en sortant :
Ô vous, plus humbles qu’eux, vous en savez autant !
L’Amour vous a tout dit dans sa langue sublime ;
Il a dans vos lointains doré plus d’une cime,
Fait luire sous vos pieds plus d’un ciron d’azur,
Jeté plus d’une fleur aux bords de votre mur.
Au coucher du soleil, au lever de la lune,
Prêtant l’oreille aux bruits qu’on entend à la brune,
Ou l’œil sur vos tisons d’où la flamme jaillit,
Ou regardant, couché, le ciel de votre lit ;
Ou, vierge du Seigneur, dans l’étroite cellule,
Sous la lampe de nuit dont la lueur ondule,
Adorant saintement et la Mère et le Fils,
Et, pour remède aux maux, baisant le crucifix ;
Vous avez agité bien des rêves de l’âme ;
Vous vous êtes donné ce que tout cœur réclame,
Des cœurs selon le vôtre, et vous avez pleuré
En remuant des morts le souvenir sacré.
Oh ! moi, si jusqu’ici j’ai tant gémi sur terre,
Si j’ai tant vers le Ciel lancé de plainte amère,
C’est moins de ce qu’esclave, à ma glèbe attaché,
Je n’ai pu faire place à mon destin caché ;