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LES CONSOLATIONS.

Filet d’eau du désert que boit le sable aride !
Phosphore des marais, dont la fuite rapide
Découvre plus à nu l’épaisse obscurité
De l’abîme sans fond où dort l’éternité !
Oh ! quand je vous ai dit à mon tour ma tristesse,
Et qu’aussi j’ai parlé des jours pleins de vitesse,
Ou de ces jours si lents qu’on ne peut épuiser,
Goutte à goutte tombant sur le cœur sans l’user ;
Que je n’avais au monde aucun but à poursuivre ;
Que je recommençais chaque matin à vivre ;
Oh ! qu’alors sagement et d’un ton fraternel
Vous m’avez par la main ramené jusqu’au Ciel !
« Tel je fus, disiez-vous ; cette humeur inquiète,
« Ce trouble dévorant au cœur de tout poëte,
« Et dont souvent s’égare une jeunesse en feu,
« N’a de remède ici que le retour à Dieu ;
« Seul il donne la paix, dès qu’on rentre en la voie ;
« Au mal inévitable il mêle un peu de joie,
« Nous montre en haut l’espoir de ce qu’un a rêvé,
« Et sinon le bonheur, le calme est retrouvé. »

Et souvent depuis lors, en mon âme moins folle,
J’ai mûrement pesé cette simple parole ;
Je la porte avec moi, je la couve en mon sein,
Pour en faire germer quelque pieux dessein.
Mais quand j’en ai longtemps échauffé ma pensée,
Que la Prière en pleurs, à pas lents avancée,
M’a baisé sur le front comme un fils, m’enlevant
Dans ses bras, loin du monde, en un rêve fervent,
Et que j’entends déjà dans la sphère bénie
Des harpes et des voix la douceur infinie,
Voilà que de mon âme, alentour, au dedans,
Quelques funestes cris, quelques désirs grondants
Éclatent tout à coup, et d’en haut je retombe