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LES CONSOLATIONS.


IV

À MON AMI ULRIC GUTTINGUER


Dilata me in amore, ut discam interiori cordis ore quam suave sit amare et in amore liquefieri et natare.
De Imit. Christ, lib. II, cap, v.


Depuis que de mon Dieu la bonté paternelle
Baigna mon cœur enfant de tendresse et de pleurs
Alluma le désir au fond de ma prunelle,
Et me ceignit le front de pudiques couleurs ;

Et qu’il me dit d’aller vers les filles des hommes
Comme une mère envoie un enfant dans un pré
Ou dans un verger mûr, et des fleurs ou des pommes
Lui permet de cueillir la plus belle à son gré ;

Bien souvent depuis lors, inconstant et peu sage,
En ce doux paradis j’égarai mes amours ;
À chaque fruit charmant qui tremblait au passage,
Tenté de le cueillir, je retardais toujours.

Puis, j’en voyais un autre et je perdais mémoire :
C’étaient des seins dorés et plus blonds qu’un miel pur ;
D’un front pâli j’aimais la chevelure noire ;
Des yeux bleus m’ont séduit à leur paisible azur.

J’ai, changeant tour à tour de faiblesse et de flamme,
Suivi bien des regards, adoré bien des pas,