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POÉSIES


AU SOMMEIL

TRADUIT DE STACE.


Par quel crime, si jeune, ô des Dieux le plus doux,
Par quel sort, ai-je pu perdre tes dons jaloux,
Ô Sommeil ! — tu me fuis. — Tout dort dans la nature,
Les troupeaux au bercail, l’oiseau dans la verdure ;
Les fleuves mugissants, et de jour aux cent bruits,
Assoupissent au loin leurs murmures des nuits ;
Les cimes des grands bois penchent sous les rosées,
Et les mers au rivage expirent apaisées.
Moi, je veille : sept fois Phébé m’a regardé
De son char le plus haut ou déjà retardé,
Sept fois j’ai répondu, debout, plus pâle qu’elle !
Autant de fois Vesper, de sa tendre étincelle,
M’a surpris, dès le soir, attendant vainement ;
Et la fraîcheur d’Aurore aiguise mon tourment.
Que faire ? Argus lui-même et ses mille paupières,
Gardant pour Jupiter les beautés prisonnières,
Ne veillaient qu’à demi : chaque œil avait son tour.
En ces nuits, ô Sommeil, trop courtes pour l’amour,
Amères et sans fin pour ma veille pâlie,
Peut-être, au moment même où ma voix te supplie,
Un autre, un plus heureux, dans son embrassement
Pressant un sein aimé, t’éloigne doucement…
Sommeil ! oh ! laisse-les, viens à moi ; viens à peine,
C’est assez, c’est beaucoup : à d’autres ta main pleine
De tes plus lourds pavots ! à moi, doux Passager,
Rien qu’un toucher humide, un coup d’aile léger !