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POÉSIES


À MON CHER MARMIER


Je me laisse emporter à mes flammes communes
Mathurin Régnier.


Oh ! oui, comme autrefois, comme aux jours de folie,
Comme aux jours si légers de Rose, hélas ! vieillie,
Ami, par un matin de ce Paris d’été,
Sous ce soleil si chaud au cœur ressuscité,
Oh ! oui, vous m’avez vu suivre encore à la trace
La beauté passagère, et de perfide race,
Dont le premier abord me renversa soudain :
Et vous m’avez surpris rebroussant mon chemin,
Brusquant votre rencontre au coin de cette rue,
De peur de laisser fuir sa démarche apparue.
Ainsi je suis, Ami ; malgré tant de retours,
De projets d’être mieux, ainsi je suis toujours,
Surtout quand le Printemps, si chanté de nos pères,
À tout jamais puissant par les mêmes mystères,
Arrive, et de sa sève emplit mon œil baigné,
Et redore un duvet à mon front couronné.
Le cœur s’ouvre, et les sens qui disaient d’être sage,
Conseillers attiédis, gais flatteurs, n’ont plus d’âge :
Pleins du philtre immortel qui revient les charmer,
Leur jeune voix murmure, et nous tente d’aimer,
D’aimer, comme on aimait dans la Grèce amoureuse,
Un pied blanc, un beau sein, une démarche heureuse,
De fins cheveux brillants relevés, — sans songer
Si l’étreinte est fidèle, ou le nœud mensonger.