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POÉSIES


XXII


(Il y faudrait de la musique de Gluck.)


Laissez-moi ! tout a fui. Le printemps recommence ;
L’été s’anime, et le désir a lui ;
Les sillons et les cœurs agitent leur semence.
Laissez-moi ! tout a fui.

Laissez-moi ! dans nos champs, les roches solitaires,
Les bois épais appellent mon ennui.
Je veux, au bord des lacs, méditer leurs mystères,
Et comment tout m’a fui.

Laissez-moi m’égarer aux foules de la ville ;
J’aime ce peuple et son bruit réjoui ;
Il double la tristesse à ce cœur qui s’exile,
Et pour qui tout a fui.

Laissez-moi ! midi règne, et le soleil sans voiles
Fait un désert à mon œil ébloui.
Laissez-moi ! c’est le soir, et l’heure des étoiles ;
Qu’espérer ? tout a fui.

Oh ! laissez-moi, sans trêve, écouter ma blessure,
Aimer mon mal et ne vouloir que lui.
Celle en qui je croyais, celle qui m’était sûre…
Laissez-moi ! tout a fui.