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DE JOSEPH DELORME.

Tantôt, bien tard au ciel quand la lune se lève,
L’amante qu’on espère, accomplissant le rêve,
Apparaissait penchée à son balustre d’or ;
Et ses cheveux pendants, et tout ce blond trésor,
Ses mains et ses parfums, et sa molle caresse,
Comme à l’Endymion qu’effleure la déesse,
Allaient, et, se teignant dans l’astre aux pâles flots,
Pleuvaient sur le plus cher des tendres Roméos.
Tantôt le gris matin et l’aube qu’on devine
Voyaient dans la vapeur courir une ombre fine,
Et la porte du parc avait crié bien bas ;…
Ou vers le pavillon, plutôt, tournant ses pas,
Vers le kiosque orné qui donne sur la route,
Elle allait : la rosée, en perles, goutte à goutte
Émaillait ses cheveux, et noyait le satin
De ses pieds qui froissaient la lavande et le thym ;
Et si, des grands bosquets côtoyant la lisière,
Un obstacle a saisi sa robe prisonnière,
C’était, pour tous retards semés en si beau lieu,
Quelque buisson de rose au piédestal d’un dieu.

Nous, ce n’est pas ainsi !

…Nous, ce n’est pas ainsi ! — Quand la rare quinzaine,
Après maint contre-temps, se répare et ramène
La douceur de se voir, je vais longeant exprès,
Au lieu des quais voisins, ouverts et peu secrets,
La rue où sans soleil la pauvreté s’entasse,
Et plus sûr que par là nul ne dira ma trace ;
Je vais, et pour témoins de l’espoir qui me luit,
Pour arbres et buissons, je n’ai que le réduit
De l’humaine misère, et des figures mortes
Aspirant un peu d’air sur le devant des portes ;
Des enfants, que Lycurgue eût d’abord rejetés,