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DE JOSEPH DELORME.

POUR MON AMI ULRIC GUTTINGUER[1]

I

STANCES


Par ce soleil d’automne, au bord de ce beau fleuve,
Dont l’eau baigne les bois que ma main a plantés,
Après les jours d’ivresse, après les jours d’épreuve,
Viens, mon Âme, apaisons nos destins agités ;

Viens, avant que le Temps dont la fuite nous presse
Ait dévoré le fruit des dernières saisons,
Avant qu’à nos regards la brume qu’il abaisse
Ait voilé la blancheur des vastes horizons ;

Viens, respire, ô mon Âme, et, contemplant ces îles
Où le fleuve assoupi ne fait plus que gémir,
Cherche en ton cours errant des souvenirs tranquilles
Autour desquels aussi ton flot puisse dormir.

Dépose le limon qu’a soulevé l’orage ;
L’abîme est loin encore, il nous faut l’oublier ;
Il nous faut les douceurs d’une secrète plage :
J’attache ma nacelle au tronc d’un peuplier.

  1. Les cinq pièces suivantes sont écrites comme par l’ami même à qui elles sont adressées. En général, durant toute cette période intermédiaire, Joseph Delorme, ayant trop peu à dire pour son propre compte, exprimait et rimait volontiers les sentiments de ses amis.