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À LA PRINCESSE

je voudrais bien, avant, y faire une petite visite du matin. — Oh ! il est attrayant et séduisant le projet ! mais l’heureux Girardin ne sait pas combien le travail est une peine. Occupé toujours d’intérêts présents, de sujets qui s’offrent et vivent d’eux-mêmes, il ne sait pas ce qu’il faut d’isolement et de maussaderie solitaire pour ranimer des sujets morts ou refroidis. Il y a une partie obscure et pénible de ma vie que j’aime à ensevelir. Le paradis terrestre ne va pas avec le travail auquel fut condamné Adam. Ce que je conçois dans cette vie heureuse, dans ce cadre riant, c’est un demi-travail, ce que les oisifs appellent un travail tout entier, une occupation des matins qui ne fait qu’amuser l’esprit et l’entretenir. J’ai par malheur prélevé mon mois de vacances ; il faudra une autre année que je le ménage… — Mais voilà, Princesse, que je me perds en raisonnements et que je me permets tout haut un de ces petits dialogues que je n’engage d’ordinaire qu’avec moi-même et qui font dire quelquefois aux personnes de la maison : Tiens ! monsieur parle tout seul !

Agréez, Princesse, l’expression de ma pro-