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À LA PRINCESSE

blesse. Je sens, je me tais, je gouverne mon mal comme je puis, je cause un quart d’heure ou dix minutes tous les huit jours avec l’excellent docteur, qui a la sagesse d’attendre, de ne pas insister sur le point inconnu et de voir venir la saison. Mais aller, mais sortir, mais prendre une voiture, mais sourire et voir sourire, mais être gai (tout heureux que je suis de savoir la gaieté des autres et d’entendre l’écho des voix amies), c’est plus que je n’en saurais demander à mon esprit, devenu silencieux et sévère. Pardonnez-moi, ô la plus aimable des amies ! si vous n’étiez la plus ravissante ou séduisante (le mot est de Gavarni) des princesses !

Je crains bien que l’Académie, cette fois-ci, ne chauffe pas encore pour notre cher Gautier si Henri Martin se met en avant. Il serait bien digne de votre bonté de lui avoir un dédommagement et de lui ménager un peu d’appui pour son beau et fier talent, un peu las et saturé.

La saturation, il y a un moment où cela vient dans ce repas qu’on appelle la vie : il ne faut qu’une goutte alors pour faire déborder la coupe du dégoût. J’ai quelquefois pensé que, malgré