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rant son trépas « Ce ne sont pas toujours les choses purement naturelles qui touchent il est naturel de craindre la mort, et cependant une victime qui se lamente sèche les pleurs qu’on versait pour elle. Le cœur humain veut plus qu’il ne peut ; il veut surtout admirer il a en soi-même un élan vers une beauté inconnue, pour laquelle il fut créé dans son origine[1]. » Il en concluait à la prééminence poétique du Christianisme : « Ainsi les Muses, disait-il, qui haïssent le genre médiocre et tempéré, doivent s’accommoder infiniment d’une Religion qui montre toujours ses personnages au-dessus ou au-dessous de l’homme. » Je ne sais comment il accommode cette prétention avec cette autre pensée qu’il laisse échapper quelques pages plus loin[2] : « Les siècles héroïques sont favorables à la poésie, parce qu’ils ont cette vieillesse et cette incertitude de tradition que demandent les Muses, naturellement un peu menteuses. » Si la Religion chrétienne, d’une part, est une religion de vérité, et si, de l’autre, les Muses sont naturellement un peu menteuses (Grœcia mendax), comment donc s’accordent-elles si bien ensemble, et comment les Muses gagnent-elles tant entassant au service du Christianisme et en s’y morigénant ? Quoi qu’il en soit, il exprime en toute occasion ses préférences pour une certaine perfection plus grande que nature « Le poëte chrétien, plus heureux qu’Homère, n’est point forcé de ternir sa peinture en y plaçant l’homme barbare ou l’homme naturel ; le Christianisme lui donne le parfait héros. » Il est à craindre, d’après cette poétique, que ses personnages ne soient tout d’une pièce, et ils le seront volontiers, ses héros comme ses monstres[3].

  1. Génie du Christianisme, 2e partie, liv. II, chap. viii.
  2. Chap. xi.
  3. C’est le contraire de Shakspeare. On l’a dit, il n’a point de héros dans Shakspeare, il y a des hommes qui partent et agissent avec leurs