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156 CAUSERIES UU LUNDI. s'agissait dans ses vers que des accidents de son jardin. Il faisait des vers latins non sans quelque recherche, et le plus souvent de petites fables morales en anglais. En voici une, par exemple : LE ROSSIGNOL ET LK VER LUISANT. ■ Un Rossignol qui, tout le long du jour, av<iit rt'joui le village de •on cliant et n'avait suspendu ses notes ni au crépuscule ni même lorsque la soirée lut finie, commença h ressentir autant qu'il le pou- vait les appels aigus de la faim ; lorsque, regardant avidement à l'en- tour, il avisa tout à coup au loin sur la terre quelque chose qui bril- lait diins l'ombre, et il reconnut le Ver luisant à son étincelle. Aussi- tôt s'abattanl du sommet de l'aubépine, il pensa à le mettre dans son gosier. Le Ver, aant pris garde à son intention, le harangua ainsi Irès-éloquemment : « Si vous admiriez ma lampe, lui dit-il, autant que moi votre art, ô Ménestrel, vous auriez horreur de me faire du mal autant que moi d'attenter à votre chanson ; car c'est la même Puissance divine qui nous a appris, vous à chanter et moi à briller, afin que vous avec votre musique, moi avec ma lumière, nous puis- eions en>bellir et réjouir la nuit. » Le Chanteur entendit cette courte harangue, et, gazouillant son approbation, il le laissa, comme le dit mon histoire, et il alla trouver un souper quelque part ailleurs. « De ceci les sectaires querelleurs peuvent apprendre à démêler leur véritable intérêt : que le frère ne devrait point guerroyer contre le frt're, qu'il ne l'aut se déchirer ni se dévorer entresol, mais plutôt chanter et briller par un doux accord , jusqu'à ce que cette pauvre nuit passagère, de la vie soit écoulée; respectant ainsi l'un chez l'autre les dons de la nature et de la grâce. Ceux-là entre les Chrétiens méritent le mieux ce nom, qui ont à cœur de faire de la paix leur but ; la paix, qui est à la fois le de- voir et la récompense de celui qui rampe et de celui qui vole (1). » D'abord il ne faisait aes vers que par manière d'arau- (1) Cowper a en France depuis assez longtemps des admirateurs et des amis qui le lisent et le cultivent en silence : la traduction que je viens de donner est due à un poète bien connu, M. Lacaussade, qui, ainsi que M. William Hughes, s'est fort occupé de ce maître austère et familier. — On peut comparer celte fable du Rosignol et du Ver luisant à une épigramme d'Evenus de Paros, traduite par André Chénior, et dans laquelle une Cigale est aux prises avec une Hirondelle : c'est la différence du sentiment grec au sentiment chré- tien.